Nemrod, huile sur toile, 150x120 cm, série vision
Pierre Philippe est un artiste peintre qui réalise des
toiles immenses mêlant art figuratif et suggestif ainsi que des travaux sur
papier plus abstraits. Son travail aborde des sujets variés, répartis en quatre
séries principales : Régénérescence, Vision, Polybride et Sèves. Les trois
premières séries sont composées en grande majorité de visages en noir et blanc,
ou très peu colorés, réalisés à l’huile sur toile et traités de manières très
diverses ; la série Sèves, plus
abstraite, utilise quant à elle des pigments purs sur papier: « Mes trois
premières séries sont composées de peintures très intellectuelles et
rationalisées, qui explorent principalement les expressions du visage et les
imaginaires qui leurs sont associés. La dernière série a été à mes yeux
une manière de me lâcher et de réaliser des peintures plus spontanées. Elle
doit être comprise à part ».
Dans sa réalisation des séries Régénérescence, Vision
et Polybride, l’artiste a fait preuve d’une cohérence sémiotique indéniable et
d’une grande habileté technique. Les effets de fondus, de flou, de projection,
de transparence, d’opacité sont parfaitement maîtrisés par Pierre Philippe, qui
use de son adresse jusque dans la fabrication du châssis de ses toiles :
« Je travaille généralement sur grand format et je fabrique tout moi-même.
Du châssis en bois à la pose de la toile, commandée par rouleau de 10m sur 2m10
de large. J’emploie exclusivement du lin pour sa résistance. Lorsque je réalise
mes peintures, j’'aime beaucoup le contraste entre la finesse de la peinture,
ses fondus, son aspect lissé et d'un autre côté la brutalité de la giclure.
L'idée est de les unir dans une même composition ».
Le résultat final de chaque œuvre est le fruit d’un procédé complexe faisant
appel à diverse disciplines. L’artiste emploie des photos de personnes qui lui
sont proches, qu’il transforme à l’aide de différents médiums pour obtenir l’effet voulu avant de les
reproduire : « Avant de me lancer dans la peinture, je pars
d’une image mentale que j’essaye d’approcher en employant tous les mediums qui puissent
me permettre de la représenter. Aussi bien la photo, les logiciels type
Photoshop ou le croquis à la main. Je redessine les lignes, je modifie les
proportions jusqu'à ce que je trouve ce qui me plait. Ces croquis et photos
modifiés sont pour moi des outils de travail que je garde, afin de prendre du
recul sur l’évolution de mon travail, mais que je considère d’avantage comme un
pont vers autre chose de mieux. Ensuite, je quadrille l'image pour que
l'échelle soit respectée lorsque je reporte le dessin sur la toile, mais je ne
projette jamais l’image sur la toile pour la décalquer ». Au travers de sa production d’immenses toiles, Pierre
Philippe semble chercher à figer l’éphémère. Bien que varié, son travail
pictural semble suivre les mêmes questionnements sur le changement et la
transformation : « Le changement que je peins n'est pas le mien, mais
celui qui habite chaque être conscient de son parcours intérieur. Dans le
bouddhisme, il est dit que tout n'est que changement. C'est la loi de
l'impermanence, une loi universelle qui transcende tout. Étant très attaché à
cette notion, j'ai besoin de la transmettre dans la peinture, au travers des
visages qui incarnent des transformations. Je ne me peins pas, je peins les
choses qui m'habitent. Il y a inéluctablement une part de moi, mais ça n'est
pas le but recherché ».
Eveil, huile sur toile, série polybride
Pépite, huile sur toile, 120x150 cm, série polybride
Les premières séries de Pierre Philippe visent à traduire en une image fixe des états psychiques fugaces en exacerbant toutes les caractéristiques physiques qui les traduisent. L’artiste met en place un langage imagé particulièrement percutant : « En décomposant les étapes émotionnelles d'une perception, je cherche à rendre visuellement la puissance qu'elles véhiculent en moi».
La série Vision est composée d’une
douzaine de toiles, dont la plupart représentent des visages gigantesques
(entre 1 et 2 mètres), traités
comme s'il s'agissait de photos en train de se développer dans du liquide
révélateur. En employant des effets de fondus et de projections liquides,
Pierre Philippe donne aux personnages un
aspect désagrégé et imprécis, rend leur physionomie plus difficile
à lire, leur confère un côté muable,
comme s’ils étaient en pleine métamorphose. Cet aspect insaisissable est
encore accentué par les effets de peinture récurrents qui barrent les yeux des
personnages et posent une distance supplémentaire entre eux et le spectateur: « j’ai
voulu représenter la dualité de la vision qui à la fois est projetée sur
l’autre et est influencée par les autres simultanément. Ce procédé me permet de
retranscrire par le visuel ce que j’appelle le filtre de la vision ». Dans la série Polybride, l’artiste poursuit ses questionnements sur la transformation.
Néanmoins, les visages sont plus détaillés, les yeux des personnages
apparaissent et les expressions sont tour à tour décomposées, morcelées,
réassemblées ou encore soulignées grâce à des effets suggestifs de projection
ou de flou. Il fige la progression de la gestuelle
qui traduit l’expression en découpant le mouvement en deux ou trois étapes
qu’il imbrique en une image unique, presque à la manière de totems. De fait, on
ressent une certaine sacralité devant ces toiles qui évoquent une perte de
contrôle du corps.
Travel, huile sur toile, 100x200 cm, série vision
Bédouin, huile sur toile, 100x192 cm, série vision
La série Régénérescence, quant à elle,
explore le processus de changement à travers trois immenses toiles (entre 4 et
6 mètres) qui se complètent en une sorte d’éveil spirituel synthétisé.
La première toile est titrée Trauma : divisée en quatre compartiments par
une croix centrale, elle présente un fœtus qui se détache sur un fond noir, qui
encercle l’enfant dans une sorte de bulle : « le fœtus contient tout,
il peut devenir la meilleur comme la pire des personnes, ici il s’agit presque
d’une évocation christique qui rappelle l’enfant destiné la croix mais aussi
l’élu, ce qui est renforcé par l’impression qu’il est comme visé à travers une
lunette ». La seconde toile, Résurrection, a été réalisée en forme de
croix, ce qui accentue son caractère sacré. Elle présente un être inquiétant
dont le regard projette de la lumière, rappelant les personnages de la série
vision. Son corps semble s’ouvrir comme une graine fécondée et son esprit le
quitter dans une extase douloureuse, presque explosive, qui fait penser au
retable d’Issenheim. Cette résurrection, contrairement à la résurrection
christique qui se fait dans toute son intégrité physique, semble ne concerner
que l’âme qui s’extrait violement de son enveloppe charnelle pour s’en échapper.
Enfin, la dernière toile, Solaris, est construite comme le bogue d’un marron béant contenant un visage
rayonnant. L’œuvre est divisée en plusieurs toiles qui se combinent tel un
puzzle. Au milieu, le visage occupe une toile ronde, enserrée en haut par deux
toiles qui figurent les rayonnements du soleil, et en bas, par deux autres qui
représentent des racines.
Trauma, huile sur toile, 400x400 cm, série régénérescence
Résurrection, huile sur toile, 600x600 cm, série régénérescence
Solaris, huile sur toile, 550x550 cm, série régénérescence
La dernière série, moins construite, présente des assemblages de traits sinueux, où l’œil imagine un enchevêtrement de fils bleus vifs. L’esprit peut y voir le fil de vie contrôlé par les Parques dans la mythologie grecque ou la traduction visuelle d’un cheminement intérieur. Mais pour l’artiste, « Les enchevêtrements bleus sont une manière de symboliser le vivant, l'énergie propre à l’organique. C'est en peignant la toile Résurrection que j'ai adoré peindre ces sortes de " filaments énergétiques ". Ils sont comme des canaux qui guident la lumière spirituelle. C'est une matérialisation de l'énergie que l'on ne voit pas ».
Traversée, pigment pur de bleu majorelle sur papier, 50x60 cm, série sèves
Dualité, pigment pur de bleu majorelle sur papier, 50x60 cm, série sèves
Le travail de l’artiste se dirige à présent vers un
retour au figuratif : « Mes futurs travaux continueront à explorer le
thème de la métamorphose, mais de manière moins analytique et en employant
davantage de couleur. Je souhaite cependant encore approfondir mon travail sur
le flou, le visage et son expressivité. J’ai également prévu d’utiliser du lin
brut pas du tout apprêté de manière à affirmer les contrastes entre la fluidité
de la peinture et la raideur de cette matière ».
Transit, huile sur toile, 100x120 cm, série vision
Oil order, huile sur toile, 120x150 cm, série polybride
J’invite
vivement le lecteur à s’intéresser à l’évolution du travail de Pierre Philippe
en se rendant sur son site web, où il trouvera l’intégralité de ses toiles et
pourra suivre son actualité artistique :
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