16h15, 50 x 50 cm, 2016
Partagé entre création et transmission, Julien
Peschard réalise des peintures mixtes, combinant acrylique, encre et peinture à
l’huile, qui représentent des vues panoramiques de paysages urbains où n’apparait
aucune figure humaine. Les masses des bâtiments se détachent par chaque touche
de peinture et les formes sont épurées : aucune fenêtre, antenne, cheminée
ou autre élément ne vient distraire le regard et la pensée. Cette économie de
moyen évoque une image synthétisée de la ville en tant qu’entité
disproportionnée devant laquelle l’être humain saisit sa propre fragilité et éprouve
le sentiment du sublime. L’artiste travaille principalement au couteau,
appliquant chaque couleur de manière à créer des effets de lumière et
profondeur et utilisant chaque ajout de matière pour constituer ses bâtiments.
Les traces des mouvements faits par le couteau ou le pinceau restent visibles,
la touche est épaisse, ce qui donne aux tableaux un aspect inachevé, proche du
flou photographique. Le couteau semble déposer simultanément plusieurs
couleurs, emprisonnées dans la matière, qui font vibrer la surface. Ce travail
de la matière offre une dimension presque sculpturale à ses peintures et le
spectateur peut reconstituer par la pensée chaque ajout de matière fait par le
peintre : « L’empâtement est en effet une des composantes importantes du
travail de la surface de mes toiles, au même titre que la taille des touches et
les nuances de couleurs. Elle s’obtient par l’accumulation des couches, ce qui
donne à la toile un grain particulier, une épaisseur. Cependant, le risque
d’obtenir un résultat « brouillon » me pend souvent au nez. En effet,
à force d’accumuler la matière et donc les couleurs, la peinture peut tout
aussi bien se désagréger, disparaître pour finir par ne ressembler à rien. Si
l’on perd de vue l’idée initiale, le risque que la composition de la toile ne
soit chargée que d’une accumulation de matière devient fort. Sur le plan
technique donc, le couteau ne doit pas être chargé à l’excès car cela nuit tout
à la fois à la glisse, à la maitrise du motif et des aplats. »
Détail
La ville,
symbole par excellence de la civilisation en occident, nourrit l'imaginaire de
nombreux peintres, cinéastes,
romanciers, philosophes, designers, architectes, artistes plasticiens, artistes
numériques, etc. Qu’elle soit contemporaine, futuriste, disparue ou
fantasmée, son organisation est
constamment soumise aux recherches de structure et de profondeur et sa portée
symbolique ne cesse d’être exploitée. Pourtant, face aux villes de Julien
Peschard, un sentiment de fascination bien particulier saisit les sens et renouvelle l’expérience esthétique du
quotidien. La société urbanisée
en constante évolution dans le temps et dans l’espace est reconstruite de
manière imaginaire : sur certaines toiles, on croit reconnaître des
endroits familiers, sur d’autres on est transporté dans des villes exotiques,
difficile à localiser précisément et qui invitent au voyage. Parfois, un
élément architectural offre une piste topologique pour identifier la ville. Une
série de toile est ainsi inspirée de vues de Paris :« Pour la série des
peintures sur Paris, j’ai souvent incorporé un élément identifiable tel que le
Sacré-Cœur, la Tour Eiffel, ou le quartier de La Défense. Cependant, de manière
générale mes villes sont composées à partir d’un métissage de paysages croisés
au cours de voyages et issus de mon imagination. J’aime l’idée que la toile
quitte les rivages de la figuration sans toutefois s’en éloigner totalement.
Ainsi, celui ou celle qui regarde peut tout à la fois identifier le thème de la
ville, mais en imaginant l’endroit qu’il ou elle souhaite voir. »
Paris, 8h21, 80 x 120 cm
Paris, 19h32, 50 x 50 cm, 2015
Julien Peschard ne se contente pas de jouer avec la
notion d’espace mais s’intéresse également à celle de temps. Les titres de
chaque toile sont des horaires précis, qui correspondent à l’heure du jour ou
de la nuit à laquelle l’artiste associe le paysage qui est représenté. La
temporalité constitue le sujet de la toile aux yeux du peintre et l’espace de
la ville se voit modelé différemment selon les conditions météorologiques :
« Les couleurs, contrastes, la tonalité du ciel sont autant d’ingrédients
qui me dictent le titre, une fois la peinture achevée. Assez curieusement, il
arrive fréquemment que je termine le tableau à l’heure qu’il évoque. Je me sers
donc souvent de l’heure à laquelle je termine le travail pour fixer cela. L’histoire
d’un tableau (Paris, 00h23) est à ce propos assez mystérieuse. J’ai commencé
cette peinture le soir des événements du 13 novembre à Paris. Comme d’habitude,
j’étais enfermé dans mon atelier. J’avais commencé ma toile et m’étais dit
« ce sera un Paris, de nuit ». Pendant que je travaillais mon ciel
nocturne, allant d’un noir bleuté jusqu’à un rouge (que j’estimais alors
exagéré) pour exprimer le reflet des couleurs de la ville, le téléphone sonnait
avec insistance. Agacé, j’ai donc abandonné le travail mais conservé le ciel.
J’apprendrais ensuite ce qu’il se passait. J’ai repris la toile longtemps
après, non sans appréhension, sans jamais retoucher le ciel et son reflet
rouge. Et puis, le hasard a fait le reste : un couple habitant à 20 mètres
du Bataclan, et dont la fille était cachée en pleine rue le soir du 13 novembre,
en a fait l’acquisition lors d’une exposition, sans connaître son histoire de
prime abord. Lorsque je leur ai expliqué, et qu’ils m’ont dit où ils résidaient,
nous étions tous les trois bouleversés du destin de ce tableau.
« 00h23 » correspond à l’heure de fin de toutes ces horreurs. Mais il
fallait le savoir ! »
Paris, 13/11, 00h23, 50 x 100 cm, 2015-16
Les oeuvres de Julien Peschard invite à vagabonder dans les villes, à arpenter les avenues et les
ruelles qu’on imagine entre les touches de couleurs qui forment les bâtiments
et à se perdre dans la profondeur du champ. Ces cités faites de carrés et de
rectangles en relief, répondent à un tracé qui tente de donner sens
à l’espace de la ville mais surtout qui s’attachent à révéler la vie qui
l’habite. Il s’agit aussi bien de montrer la vie des êtres qui y résident que
de révéler la vie inhérente à la ville elle-même. Les mosaïques de couleurs restreintes, à la fois structurées et
chaotiques, semblent en mouvement et leur relief important accentue encore
cette sensation ; comme si la ville, en constante expansion, pouvait à
tout moment sortir du cadre. Les villes de Julien Peschard, presque vivantes, ont
un aspect dérangeant et presque effrayant : « De mon
point de vue, la ville est à la fois sublime et effrayante pour des raisons
presque similaires. De par les couleurs, les motifs qu’elle donne à voir. Les
villes que l’on surplombe ressemblent parfois à des océans, des masses
gigantesques et tentaculaires. Lors d’une exposition, quelqu’un m’a dit que mes
peintures « grouillaient de vie » et que si cela était
« réussi », c’était aussi « très oppressant ». Voilà une
définition que j’ai trouvé cohérente. »
02h28, 100 x 100 cm, 2016
Ses compositions urbaines géométriques
à la palette chromatique restreinte ne sont pas sans évoquer les paradigmes
propres au mouvement cubiste. Ainsi, les variations
chromatiques ne semblent pas conçues comme reproduction de la réalité mais
plutôt comme composition d’ombres et de lumières, de pleins et de vides que
l’emploi du carré et du rectangle renforcent. Pourtant, Peschard marque sa distance avec ce courant: « Assez
curieusement, je ne suis pas très sensible à ce qu’on peut qualifier de «
cubiste ». Bien que l’on associe souvent mon travail à cela, je ne m’en
revendique pas. Je préfère davantage considérer mes toiles comme des mises en
scène jouant sur les rapports entre les plages de couleurs et les volumes
(carrés, rectangles), parfois cernés par des traits/lignes. En réalité,
l’aspect « cubiste » est davantage conditionné par l’outil (le couteau) que par
une volonté de produire un motif géométrique. »
19h39, 120 x 80 cm, 2016
Au-delà de cet aspect
géométrique, Julien Peschard explore la poésie fiévreuse de la ville, démesurée
et bourdonnante, au travers de grandes compositions qui évoquent les paysages
abstraits, denses et fragmentés de Vieira da Silva, ou encore ceux de Zao
Wou-Ki, aussi nerveux et puissants que poétiques. L’attention qu’il accorde aux
conditions atmosphériques, qui sont le sujet de ses œuvres, rappelle
naturellement le courant impressionniste. Julien Peschard construit en effet
son oeuvre dans une connaissance profonde de diverses traditions picturales :
«
J’apprécie particulièrement le travail des artistes du paysagisme abstrait
telle que Vieira Da Silva. Bien entendu je m’intéresse également au
travail de Maîtres comme Van Gogh, Monet ou Bonnard. Le courant
impressionniste, de manière générale, m’inspire également. Par exemple, je voue
une admiration sans borne à Turner. Essentiellement pour son travail acharné
sur la lumière, la couleur. J’admire la puissance de son œuvre pour la vérité
qu’elle dégage. De toute l’histoire de l’art, il fait partie des rares qui ont
observé de manière très pointue les phénomènes naturels et leurs variations
chromatiques inépuisables, saisies sur le vif et en plein air. Je pourrais
parler pendant des heures de ses couchers de soleil dorés, de ses marines
bleutées, de ses paysages éblouissants ou flamboyants. J’apprécie également le
travail de Gherard Richter, notamment ses peintures sur la ville qui explorent
la construction, le rapport aux masses. Je me suis également beaucoup intéressé
aux théories scientifiques et philosophiques sur la couleur et notamment aux
travaux d’Isaac Newton, de Johann Wolfang von Goethe, mais aussi de Charles
Baudelaire. »
19h47, 100 x 50 cm, 2016
Paris, 10h16, 100 x 100 cm, 2015
L’approche sensorielle de Julien Peschard fait
également écho à son travail photographique, parallèle à sa production
picturale. Il est possible de distinguer ses propres pérégrinations urbaines,
son intérêt pour l’instantané et l’aspect éphémère des variations
météorologiques, qui transforment l’image et déterminent l’ambiance de la toile
dans ses compositions picturales : « La plupart du temps, la
photographie est un élément déclencheur de mon processus de création. Lorsque
le temps me le permet, j’aime chercher, puis sélectionner des points de vue
souvent panoramiques, offrant une large et belle perspective. Cela vient très
probablement de mon intérêt – que dis-je... – de ma Passion pour l’orage.
Lorsque la saison estivale approche, je délaisse souvent la peinture pour aller
observer et photographier ce phénomène météorologique qui me fascine par sa
puissance et sa splendeur. Simplement, cela nécessite une bonne dose de
patience. A la fois pour dénicher des points de vue bien orientés et
suffisamment dégagés mais aussi car l’orage est comme une bête sauvage :
imprévisible et ne se laissant pas facilement approcher. Durant ces
déplacements, donc, je prends souvent beaucoup de photographies, et effectue
quelques croquis préparatoires à l’encre pour la recherche des couleurs. Ces
« promenades » sont essentielles à mon processus de création. Le
cadrage de mes composition picturales, toujours le même, rappelle ces points de
vue en hauteur et dégagés que j’évoquais plus tôt. Bien entendu, cela évoque
aussi le recul que j’aime prendre par rapport à l’espace urbain. J’aime
l’agitation d’une grande ville mais dans le même temps, cela peut m’oppresser.
Voilà pourquoi les vues sont pensées avec du recul. »
08h34, 80 x 80, 2015
L’intérêt que porte Julien Peschard au céleste transparait de manière frappante dans
ses toiles, qui laissent presque systématiquement voir une part de ciel plus ou
moins calme. Or, peindre le ciel, c’est peindre une atmosphère : qu’il
soit lourd et menaçant, flamboyant, rougeoyant, translucide, nuageux, d’un bleu
vibrant ou obscur, le ciel détermine l’aura de la toile. Il complète le motif
de la ville aussi bien qu’il s’y oppose ; et, de manière intéressante,
l’artiste provoque généralement un contraste stylistique et de matière entre le
ciel et la ville. Ce procédé, aussi bien esthétique que symbolique, cristallise
l’opposition célèbre du couple idéologique nature-culture, que l’artiste
explore dans ses toiles : « Le ciel constitue un élément
indispensable dans mon travail. Sa proportion dans la composition de la toile
est presque toujours inférieure à celle du paysage terrestre. Cela ne veut pas
dire que cette part est moins importante, au contraire. Elle surplombe l’espace
de la toile. Je peux passer et revenir dessus pendant deux, cinq, dix jours,
parfois davantage. Tant qu’un ciel ne me convient pas, je continue de le
façonner. J’accorde une importance particulière à ce que celui-ci peut dégager.
Dans ses formes, ses couleurs, il conditionne l’ambiance générale de la toile.
Je passe énormément de temps à scruter le ciel et tenter de déchiffrer les
multiples couleurs que celui-ci peut offrir, selon les conditions
météorologiques. Tout ceci évolue du matin jusqu’au soir. Chaque journée est
différente, il n’y a pas deux ciels qui soient identiques et je trouve cela
fascinant. Dans un paysage, la part de ciel offre au peintre une liberté
créative quasi inépuisable. De plus, je souhaite alimenter la réflexion sur le
contraste symbolique entre la Nature et l’autre nature, celle transformée
par l’homme. J’ai toujours souhaité que mon travail donne à voir cette
opposition nature/culture. La condition de l’homme face à la nature m’intéresse
particulièrement. C’est pourquoi le ciel dans mes tableaux est souvent agité et
parfois apocalyptique. L’homme peut se développer et grignoter la nature pour
bâtir ses villes gigantesques mais n’est jamais aussi vulnérable que lorsqu’il
est seul face à la puissance des éléments naturels. C’est d’ailleurs ce que je
recherche lors de mes chasses photographiques. J’ai besoin d’être au plus prêt
pour contempler cette nature qui nous dépasse et nous rappelle notre statut et
notre place. »
Paris, 16h25, 50 x 50 cm, 2015
15h29, 150 x 120 cm, 2016
Julien Peschard accède à
l’intimité des rythmes profonds qui animent la cité, si bien que l’on vient à
se demander si cette ville est véritablement un paysage ou bien
un personnage, à la fois inquiétant et familier. On y pressent son projet de
s’intéresser prochainement à la figure humaine au travers du thème de la foule
« dont l’accumulation des sujets me rappelle celle des bâtiments qui
forment la ville. »
Julien Peschard
expose en France depuis quelques années et a été récompensé au Printemps des
Artistes de Maisons-Laffitte en 2010 et au salon de Mantes-la Jolie en
2016 : « Une de mes peintures a gagné
le Grand prix du Salon Arbuste de Mantes-la-Jolie et a été sélectionnée pour
participer à la grande aventure du Salon d’Automne à Paris. Ce fut un bel
événement que de se retrouver exposé dans cet endroit prestigieux et riche en
histoire. Je travaille actuellement sur de
futures collaborations avec des galeries. Deux projets d’exposition devraient
voir le jour l’an prochain, l’un à Honfleur et l’autre à Paris. » Afin
d’en apprendre d’avantage sur ces projets futurs et de découvrir l’intégralité
du travail de Julien Peschard j’invite le lecteur à se rendre sur son site dont
le lien se trouve ci-dessous :
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