Devant les structures complexes et
inventives des dessins de Benjamin Thollet, jeune artiste autodidacte
originaire de Lyon, l’œil peine à se poser, presque affolé par la quantité de
détails, tantôt humoristiques, tantôt terrifiants. Parfois agrémentées de
couleurs, ces compositions laissent toutefois une grande part au trait d’encre
noire, dont l’intensité varie pour forger contours et zones d’ombre. Des lignes
conductrices nerveuses et saillantes, qui évoquent l’art brut, sont ornées
d’une multitude de motifs, d’une grande liberté de forme, qui se déploient sur
le papier. Ces accumulations de détails, infimes parties de l’œuvre qui
interrogent la narration picturale et donnent son sens à l’œuvre, sont
organisées de manière à intervenir dans un second temps. D’abord attiré par la
structure globale, qui semble vibrer au rythme des détails parcourant le
tableau, l’œil s’attarde ensuite sur chaque scénette, sur chaque effet de matière, qui peuvent être
considérés comme des œuvres à part entière. Les personnages,
monstrueux et grotesques, presque confondus avec leur environnement, sont le
plus souvent relayés au rôle de motif, composant la structure globale comme des
éléments d’architecture. Leurs visages, dont les traits distordus sont proches
de la caricature, reflètent des états d’âme tourmentés, des sensations fortes,
des émotions bouleversantes qui peuvent susciter de l’empathie ou de l’aversion,
mais ne laissent indifférent. L’esthétique quasi organique de
ces ensembles est parfois dérangeante, comme si l’artiste, en grattant les
couches à l’aide de sa plume, avait fait apparaitre les muscles et les nerfs de
la structure.
Une impression de dualité se dégage des oeuvres percutantes
et troublantes de Benjamin Thollet. La raison de cette double impression
s’explique par le processus de travail adopté par l'artiste, qui se déroule en
deux temps, comme il l'explique lui-même :
« Je pars d’une
image mentale frappante qui se déploie sur le papier. Dans un premier temps, je
mets en place la structure, d’abord au crayon, puis aux posca et promarker. Je repasse
ensuite les contours au posca noir en mettant en évidence les points de fuites.
J’ajoute éventuellement une mosaïque de couleurs vives, qui sont alternées,
sans jamais se toucher ni se mélanger. Dans un second temps, j’ajoute les
ombres et détails au staedtler 08 et 005, en revenant sans cesse sur mon
travail pour valoriser la structure brute par l’ajout de détails plus composés
et réfléchis. Ces détails, souvent humoristiques et dérangeants, parfois
symboliques, se greffent à la structure principale et j’y ai trouvé quelque
chose de profond, comme un travail de fouille archéologique avec différentes
strates à explorer. Leur conception est un travail méditatif
et envoutant, qui me happe et au cours duquel j'ai une sensation de flottement
intense».
On décèle avec plaisir une évolution dans les compositions
de Benjamin Thollet qui, avec le temps, s’épurent et font une place grandissante
à la couleur, tel le parcours plastique d'une trajectoire personnelle et
maîtrisée au sein d'une forêt d'inspiration: « Avant de me passionner
pour le dessin, je m’intéressais surtout au cinéma et au montage, ce qui m’a
appris à composer une image. Mes premières œuvres découlaient de mon attrait
pour l’art brut, dans lequel j’ai baigné toute mon enfance, et de mon intérêt
pour des dessinateurs de bande dessinée et de dessin animés - tels que Robert
Crumb, Fluide glacial, Gotlib, Franklin, René Laloux, Moebius, Philippe
Druillet, Winshluss, Takahata, Satoshi kon, myazaki, Otomo, ou encore Enki
Bilal, dont le travail frappant a causé mon premier vertige artistique. Ces
premiers travaux ne répondaient pas toujours à mes attentes esthétiques et
c’est pourquoi j’ai décidé de me pencher sur l’accumulation de détails, dont la
beauté complexe me fascinait. Je désirais montrer la construction du dessin
avec quelques zones très marquées où s’accumulaient formes et effets de
textures et c’est après avoir suivi des cours de modèle vivants aux Beaux-Arts
de Lyon, que j’ai véritablement pris
confiance en mon trait et établi mon style. J’ai également suivi l’enseignement
de François Millet, à l’atelier Capy Darra, qui m’a initié à l’histoire de
l’art et m’a aidé à me cadrer. C’est alors que je suis revenu vers la couleur, qui
me sert principalement à mettre en valeur les détails et à inciter l’œil à
faire des trajets dans l’œuvre en laissant des zones de papier vierge qui
contrastent avec des zones très détaillées, parfois nerveuses ou violentes, et
des espaces de couleurs vives. Je m’intéresse également de plus en plus à
l’impression de vide et de profondeur de plan, que j’essaye d’exploiter dans
mes nouveaux dessins.»
L’iconographie des dessins de Benjamin Thollet est hantée
par des créatures étranges qui évoquent tour à tour les peintures
expressionnistes et torturées d’Otto Dix, les monstres qui habitent les
compositions complexes de Jérôme Bosch ou encore les chimères humoristiques de
Terry Gilliam. Certains personnages, que l’artiste désigne lui-même par le
terme Goom, ont des visages déformés, souvent terminés par une excroissance en
forme d’aiguille, évoquant les masques qui protégeaient les médecins de la
peste. Ces « Gooms » sont présents de manière récurrente dans
différente mises en scène, toujours un peu oniriques et inquiétantes : « Ces
créatures sont pour moi comme des alter ego, qui synthétisent mes peurs. J’avais besoin de
les mettre sur papier ; ensuite une
histoire s’est créée autour d’eux, de manière presque mythologique. Il s’agit
d’individus qui se repaissent des autres, non pas au sens physique mais plutôt
qui dévorent l’intériorité d’autrui, son Moi. Ils synthétisent la manipulation,
le jeu avec les émotions des autres, à mes yeux c’est un personnage en lequel
chacun dériver à un moment de sa vie. Petit à petit plusieurs types de gooms se
sont distingués et le personnage a évolué : après avoir dévoré autrui, ils
sont devenus moins destructeurs. Le goom est finalement devenu plus ambigu ;
il a gagné en cynisme et en humour. Je l’envisage presque comme une personne
avec une évolution intérieure. »
L’univers visuel de Benjamin Thollet est une forme de
langage inédit qui explore la psyché humaine par des paraboles visuelles émancipées
du conditionnement académique et
qui bousculent les normes esthétiques. L’artiste dévoile une intériorité
troublée et parfois tourmentée au travers de ces dessins structurés et
sophistiqués qui invitent à une réflexion philosophique sur la complexité de la
nature humaine. J’invite le lecteur à se rendre sur la page web dédiée à son
travail pour en apprendre d’avantage : https://www.facebook.com/MOOG-809708705726860/
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