23/10/2018

Benjamin Thollet, explorer l’esthétique de l’Art Brut





Devant les structures complexes et inventives des dessins de Benjamin Thollet, jeune artiste autodidacte originaire de Lyon, l’œil peine à se poser, presque affolé par la quantité de détails, tantôt humoristiques, tantôt terrifiants. Parfois agrémentées de couleurs, ces compositions laissent toutefois une grande part au trait d’encre noire, dont l’intensité varie pour forger contours et zones d’ombre. Des lignes conductrices nerveuses et saillantes, qui évoquent l’art brut, sont ornées d’une multitude de motifs, d’une grande liberté de forme, qui se déploient sur le papier. Ces accumulations de détails, infimes parties de l’œuvre qui interrogent la narration picturale et donnent son sens à l’œuvre, sont organisées de manière à intervenir dans un second temps. D’abord attiré par la structure globale, qui semble vibrer au rythme des détails parcourant le tableau, l’œil s’attarde ensuite sur chaque scénette,  sur chaque effet de matière, qui peuvent être considérés comme des œuvres à part entière. Les personnages, monstrueux et grotesques, presque confondus avec leur environnement, sont le plus souvent relayés au rôle de motif, composant la structure globale comme des éléments d’architecture. Leurs visages, dont les traits distordus sont proches de la caricature, reflètent des états d’âme tourmentés, des sensations fortes, des émotions bouleversantes qui peuvent susciter de l’empathie ou de l’aversion, mais ne laissent indifférent. L’esthétique quasi organique de ces ensembles est parfois dérangeante, comme si l’artiste, en grattant les couches à l’aide de sa plume, avait fait apparaitre les muscles et les nerfs de la structure.




Une impression de dualité se dégage des oeuvres percutantes et troublantes de Benjamin Thollet. La raison de cette double impression s’explique par le processus de travail adopté par l'artiste, qui se déroule en deux temps, comme il l'explique lui-même :
 « Je pars d’une image mentale frappante qui se déploie sur le papier. Dans un premier temps, je mets en place la structure, d’abord au crayon, puis aux posca et promarker. Je repasse ensuite les contours au posca noir en mettant en évidence les points de fuites. J’ajoute éventuellement une mosaïque de couleurs vives, qui sont alternées, sans jamais se toucher ni se mélanger. Dans un second temps, j’ajoute les ombres et détails au staedtler 08 et 005, en revenant sans cesse sur mon travail pour valoriser la structure brute par l’ajout de détails plus composés et réfléchis. Ces détails, souvent humoristiques et dérangeants, parfois symboliques, se greffent à la structure principale et j’y ai trouvé quelque chose de profond, comme un travail de fouille archéologique avec différentes strates à explorer. Leur conception est un travail méditatif et envoutant, qui me happe et au cours duquel j'ai une sensation de flottement intense».




On décèle avec plaisir une évolution dans les compositions de Benjamin Thollet qui, avec le temps, s’épurent et font une place grandissante à la couleur, tel le parcours plastique d'une trajectoire personnelle et maîtrisée au sein d'une forêt d'inspiration: « Avant de me passionner pour le dessin, je m’intéressais surtout au cinéma et au montage, ce qui m’a appris à composer une image. Mes premières œuvres découlaient de mon attrait pour l’art brut, dans lequel j’ai baigné toute mon enfance, et de mon intérêt pour des dessinateurs de bande dessinée et de dessin animés - tels que Robert Crumb, Fluide glacial, Gotlib, Franklin, René Laloux, Moebius, Philippe Druillet, Winshluss, Takahata, Satoshi kon, myazaki, Otomo, ou encore Enki Bilal, dont le travail frappant a causé mon premier vertige artistique. Ces premiers travaux ne répondaient pas toujours à mes attentes esthétiques et c’est pourquoi j’ai décidé de me pencher sur l’accumulation de détails, dont la beauté complexe me fascinait. Je désirais montrer la construction du dessin avec quelques zones très marquées où s’accumulaient formes et effets de textures et c’est après avoir suivi des cours de modèle vivants aux Beaux-Arts de Lyon, que j’ai  véritablement pris confiance en mon trait et établi mon style. J’ai également suivi l’enseignement de François Millet, à l’atelier Capy Darra, qui m’a initié à l’histoire de l’art et m’a aidé à me cadrer. C’est alors que je suis revenu vers la couleur, qui me sert principalement à mettre en valeur les détails et à inciter l’œil à faire des trajets dans l’œuvre en laissant des zones de papier vierge qui contrastent avec des zones très détaillées, parfois nerveuses ou violentes, et des espaces de couleurs vives. Je m’intéresse également de plus en plus à l’impression de vide et de profondeur de plan, que j’essaye d’exploiter dans mes nouveaux dessins.»



L’iconographie des dessins de Benjamin Thollet est hantée par des créatures étranges qui évoquent tour à tour les peintures expressionnistes et torturées d’Otto Dix, les monstres qui habitent les compositions complexes de Jérôme Bosch ou encore les chimères humoristiques de Terry Gilliam. Certains personnages, que l’artiste désigne lui-même par le terme Goom, ont des visages déformés, souvent terminés par une excroissance en forme d’aiguille, évoquant les masques qui protégeaient les médecins de la peste. Ces « Gooms » sont présents de manière récurrente dans différente mises en scène, toujours un peu oniriques et inquiétantes : « Ces créatures sont pour moi comme des alter ego,  qui synthétisent mes peurs. J’avais besoin de les mettre sur papier ;  ensuite une histoire s’est créée autour d’eux, de manière presque mythologique. Il s’agit d’individus qui se repaissent des autres, non pas au sens physique mais plutôt qui dévorent l’intériorité d’autrui, son Moi. Ils synthétisent la manipulation, le jeu avec les émotions des autres, à mes yeux c’est un personnage en lequel chacun dériver à un moment de sa vie. Petit à petit plusieurs types de gooms se sont distingués et le personnage a évolué : après avoir dévoré autrui, ils sont devenus moins destructeurs. Le goom est finalement devenu plus ambigu ; il a gagné en cynisme et en humour. Je l’envisage presque comme une personne avec une évolution intérieure. » 



L’univers visuel de Benjamin Thollet est une forme de langage inédit qui explore la psyché humaine par des paraboles visuelles émancipées du conditionnement académique et qui bousculent les normes esthétiques. L’artiste dévoile une intériorité troublée et parfois tourmentée au travers de ces dessins structurés et sophistiqués qui invitent à une réflexion philosophique sur la complexité de la nature humaine. J’invite le lecteur à se rendre sur la page web dédiée à son travail pour en apprendre d’avantage : https://www.facebook.com/MOOG-809708705726860/




29/04/2018

Gopal Kalapremi Shrestha, when sculpture meets ceramics


 Bulls serie, ceramics

Sculptor, ceramist and visual artist, Gopal Kalapremi Shrestha is a Nepali artist who occupies an important place in the artistic milieu of his country. He creates, exhibits, animates workshops and participates in residences in Nepal and abroad since the 1980s. His production is a unique universe, inspired by tribal shapes that he revisits with very clean lines of great sophistication. Gopal Shrestha freely uses all that surrounds him: clay, plants, minerals, wax, metal, sand, sawdust, gold leaf and many other mediums to give us his own vision of the world through a syncretic prism. If one clearly distinguishes the influence of Nepalese tribal art, especially the Tharu ethnic group living in the south of the country, the themes he addresses are directly related to his country's most contemporary period and the difficulties that it crosses. His creations are divided into several series with contrasting aesthetic styles, such as the one devoted to the revolutionary period that shook Nepal from 1996 to 2006 or his latest series of tribal-inspired chess pieces Tharu. His work derives from his observation of the socio-cultural transformations of Nepal but also reflects the cultural syncretism characteristic of Nepali society. From the people's war to gender relations to the exile of Nepali youth seeking a better life abroad, many aspects of contemporary Nepalese society are being explored by Gopal Kalapremi Shrestha, who has an excellent perception of his society and exceptional sensitivity to grasp his surroundings.


Chess pieces serie, ceramics



Coming from a modest family, but from a caste where the work of the land is not an acceptable occupation, nothing will come to block his desire to become an artist ceramist and sculptor. He will hold various positions to finance his studies in an art school: "I had many jobs when I was young, I washed dishes in restaurants, did laundry  for hotels, I cooked , tinkered and finally I taught as soon as I could. All these experiences allowed me to finance my studies at the Fine Art Lalit Kala Campus in Kathmandu and to start my career as a sculptor in the 1980s. "He then began to read books on art, especially the ceramic. Afterwards, his travels abroad allowed him to observe ceramics from different traditions and to interact with ceramists. "I have always asked my ceramicist friends from outside Nepal to bring me something useful when they come here, they gave me books, gloves and other equipment that is valuable because these are things that can’ t be bought in Nepal. It is also difficult to get quality materials and produce them myself became a necessity because it was impossible to import the chemicals needed for my work. That is why I quickly began researching chemicals and what could be extracted from minerals, different clays and Nepalese flora. With these materials I created my own recipes for colors and unique texture effects ".


 Exhibition of ceramic rocks, Taragaon museum, Kathmandu

Cultural transfers and the multiplication of exchanges have continually drawn the art of Gopal Kalapremi Shrestha into a series of mutations that contribute to the impression of diversity that one experiences in front of his work. Indeed, the artist travels often, both within his country and abroad, and feeds on the aesthetics and new techniques he faces: "During my youth I traveled to Nepal, then I went abroad and especially in Europe, where for example I learned new techniques from ceramic artists in the south of France, but now since the rise of the internet, I have access to many information from home ". His home, located in Kathmandu, houses his workshop and part of his work. Looking like a museum, it also hosts a collection of contemporary art, but above all, it welcomes artists who come here to learn the techniques of ceramics, such as Gopal has transformed and adapted it, forging a hybrid technical knowledge that he teaches to stimulate interest in Nepalese ceramics, different from traditional Asian ceramics: "In India and China, as well as in Japan, the art of ceramics is very developed whereas in Nepal there is very little ceramic. Artisans and artists often stick to pottery because the techniques of ceramics and cooking are more complex and require material difficult to find in Nepal. Yet the earth is a very lively matter and is everywhere. Moreover, thanks to the technique and a little sensitivity it is possible to offer nobility to this matter yet so humble and easy to find. I turned to this material naturally, because instinctively I was attracted to it ".  Gopal also travels regularly to a pottery community Tharu, a tribe who practices the art of pottery but does not know ceramics, to introduce them to this art.




 Masculinism serie, ceramics

By combining technical skills and in-depth knowledge of materials with great inventiveness, Gopal Kalapremi Shrestha is an explorer of forms and materials: "It seems crucial to me to combine one’s technical and gestural skills with knowledge of the materials themselves . In my eyes, materials have their own language, both organic and social. Today, the majority of artists buy manufactured materials and do not always realize what they are made of; nevertheless, when one is interested in the organic nature of the material and the imaginary associated with the material, one manages a better control of his work. Each technique also has a language. For example the technique of raku (technique of ceramic cooking inherited from Japan) makes it possible to obtain cracks whose writing is particular and recognizable, but which varies according to each piece ".



In addition to his creative work, Gopal Kalapremi Shrestha teaches at the Kathmandu University Center for Art and Design and has also taught at Jeonju University in South Korea. He animated ceramic workshop in Korea, Pakistan, France, Denmark, Bangladesh, India and Sri Lanka. He has published several books on ceramics and sculpture techniques as well as poems. This interdisciplinary artist carries out a work of cultural interbreeding that highlights the contrasts of the modern and traditional society in which he evolves. To discover more about his work I invite you to follow the following link to his facebook page: https://www.facebook.com/gopalkalapremi.shrestha?ref=br_rs

Gopal Kalapremi Shrestha, quand la sculpture rencontre la céramique





 Série des taureaux, céramique

Sculpteur, céramiste et plasticien, Gopal Kalapremi Shrestha est un artiste népalais qui occupe une place importante dans le milieu artistique de son pays. Il créée, expose, anime des ateliers et participe à des résidences au Népal comme à l'étranger depuis les années 1980. Sa production constitue un univers unique, inspiré par des formes au caractère tribal qu'il revisite avec des lignes très épurées, d’une grande sophistication. Gopal Shrestha emploie librement tout ce qui l'entoure: la terre, les plantes, les minéraux, la cire, le métal, le sable, la sciure de bois, les feuilles d'or et encore bien d’autres médiums pour nous livrer sa propre vision du monde à travers un prisme syncrétique. Si l’on y distingue clairement l’influence de l’art tribal népalais, en particulier de l'ethnie Tharu qui vit au sud du pays, les thèmes qu’il aborde sont directement liés à la période la plus contemporaine de son pays et aux difficultés que ce dernier traverse. Ses créations sont divisées en plusieurs séries aux styles esthétiques contrastés, telles que celle consacrée à la période révolutionnaire qui secoua le Népal de 1996 à 2006 ou encore sa série plus récente de pièces d'échec d'inspiration tribale Tharu. Son travail découle de son observation des transformations socio-culturelles que connait le Népal mais reflète aussi le syncrétisme culturel caractéristique de la société népalaise. De la guerre du peuple aux relations hommes-femmes en passant par l’exil des jeunes népalais en quête d’une vie meilleure à l’étranger, de nombreux aspects de la société népalaise contemporaine sont explorés par Gopal Kalapremi Shrestha, qui possède une perception aiguë de sa société et une sensibilité exceptionnelle pour saisir ce qui l’entoure. 


Série des pièces d'échec, céramique




Issu d’une famille modeste, mais d'une caste où la travail de la terre n'est pas une occupation acceptable, rien ne viendra barrer sa volonté de devenir artiste céramiste et sculpteur. Il occupera différents postes pour financer ses études dans une école d’art : « J’ai eu de très nombreux jobs quand j’étais jeune, j’ai fait la vaisselle dans des restaurants, la lessive pour des hôtels, j’ai cuisiné, bricolé et enfin j’ai enseigné dès que j’ai pu. Toutes ces expériences m’ont permis de financer mes études au Fine Art Lalit Kala Campus  de Katmandou et de débuter ma carrière en tant que sculpteur dans les années 1980. » Il a ensuite commencé à lire des ouvrages sur l'art, en particulier la céramique.  Puis, ses voyages à l’étranger lui ont permis d'observer des céramiques issues de différentes traditions et d'interagir avec des céramistes. "J'ai toujours demandé à mes amis céramistes de l'extérieur du Népal de m'apporter quelque chose d'utile quand ils viennent ici. Ils m'ont donné des livres, des gants et d'autres équipements qui sont précieux parce que ce sont des choses qu'on ne peut pas acheter au Népal. Il est également difficile de se procurer des matériaux de qualité et les produire moi-même est devenu une nécessité, car il était impossible d’importer les produits chimiques nécessaires pour mon travail de céramiste. J'ai rapidement commencé à faire des recherches sur les produits chimiques et ce qui pouvait être extrait des minéraux, des différentes terres mais aussi de la flore du Népal et j’ai ainsi créé mes propres recettes pour obtenir des couleurs et des effets de texture uniques ».


 Exposition de galets en céramique, Musée Taragaon, Katmandou, Népal



Transferts culturels et multiplication des échanges n’ont cessé d’entraîner l’art de Gopal Kalapremi Shrestha dans une série de mutations qui contribuent à l’impression de diversité qu’on éprouve devant son travail. En effet, l’artiste voyage souvent, aussi bien au sein de son pays qu’à l’étranger, et se nourrit des esthétiques et des nouvelles techniques auxquelles il est confronté : « Durant ma jeunesse je voyageais au Népal, ensuite j’ai pu partir à l’étranger et notamment en Europe, où j’ai par exemple appris de nouvelles techniques auprès d’artistes céramistes dans le sud de la France, mais maintenant depuis l’essor d’ internet, j’ai accès à de nombreuses informations de chez moi ». Sa maison, située  à Katmandou, abrite son atelier et une partie de son travail. Véritable musée, elle accueille aussi une collection d'art contemporain, mais surtout, elle accueille des artistes qui viennent ici se former aux techniques de la céramique, telles que Gopal les a transformées et adaptées, forgeant ainsi un savoir technique hybride et unique, qu’il enseigne pour stimuler l’intérêt pour une céramique népalaise, différente des céramiques traditionnelles asiatiques : « En Inde et en Chine, ainsi qu’au Japon, l’art de la céramique est très développé alors qu’au Népal il existe très peu de céramique. Les artisans et les artistes s’en tiennent souvent à la poterie car les techniques de la céramique et de sa cuisson sont plus complexes et demandent du matériel difficile à trouver au Népal. Pourtant la terre est une matière très vivante et qui se trouve partout. De plus, grâce à de la technique et à un peu de sensibilité il est possible d’offrir de la noblesse à cette matière pourtant si humble et aisée à trouver. Je me suis tourné vers cette matière naturellement, parce qu’instinctivement, j’étais attiré par elle ». Gopal se rend aussi régulièrement dans une communauté de potiers Tharu, tribu qui pratique l'art de la poterie mais ne connaît pas la céramique, pour les initier à cet art.



 Série Masculinisme, céramique


En combinant des compétences techniques et des connaissances pointues sur les matériaux à une grande inventivité, Gopal Kalapremi Shrestha est un explorateur de formes et de matières: «  Il me paraît crucial de mêler ses connaissances techniques et gestuelles à des connaissances sur les matériaux eux-mêmes. A mes yeux, les matériaux ont leur propre langage, à la fois organique et social. De nos jours, la majorité des artistes achètent des matériaux manufacturés et ne réalisent pas toujours de quoi ils sont composés; pourtant, lorsqu’on s’intéresse à la nature organique du matériau et à l’imaginaire associé à la matière, on parvient à une meilleure maîtrise de son œuvre. Chaque technique possède également un langage. Par exemple la technique du raku (technique de cuisson héritée du japon) permet d’obtenir des craquelures dont l’écriture est particulière et reconnaissable, mais qui varie selon chaque pièce ».







En plus de son travail de création, Gopal Kalapremi Shrestha enseigne au Centre d'art et de design de l'Université de Katmandou et a également enseigné à l'Université de Jeonju, en Corée du Sud. Il a animé des ateliers de céramique en Corée, au Pakistan, en France, au Danemark, en Inde, au Bangladesh et au Sri Lanka. Il a également publié plusieurs ouvrages sur les techniques de la céramique et de la sculpture ainsi que des poèmes. Artiste interdisciplinaire, il réalise un travail de métissage culturel qui met en lumière les contrastes de la société à la fois moderne et traditionnelle dans laquelle il évolue. Pour en découvrir d’avantage sur son travail je vous invite à suivre le lien suivant vers sa page facebook : https://www.facebook.com/gopalkalapremi.shrestha?ref=br_rs